Rencontre conférence le jeudi 9 janvier après la représentation.
Une fille se sépare de son ombre.
Sans cesse traquée par son reflet sombre, elle étouffe.
Un jour, elle brise le lien avec ce double encombrant.
Lors de ma précédente performance « Un arc-en-ciel absolument ordinaire », j’ai beaucoup été confrontée au problème technique de l’ombre. Pour des raisons narratives et esthétiques, je devais éviter à tout prix que la projection video projète l’ombre du protagoniste sur scène. Petit à petit, à force d’expérimentations, je suis devenue experte pour éviter ce phé- nomène naturel.
Mais hors des temps de répétition, je me suis souvent retrouvée face à ma propre ombre, sur l’écran video. Ces parenthèses d’exploration adjacentes à la création avaient tendance à m’absorber et je devais redoubler de rigueur pour revenir au « vrai » travail.
Cette fascination pour mon ombre m’a conduit assez naturellement à développer un scénario parallèle. Si l’initiation était plutôt instinctive, en réalité ce choix prend tout son sens. J’avais rendez-vous avec mon ombre.
Une ombre est une zone sombre créée par un corps opaque qui intercepte les rayons lumineux. Elle nous rattache au monde de la matière et de la physique, et pourtant elle véhicule une symbolique occulte et surnaturelle. Depuis que la lumière existe, cette figure fascine. Elle fait peur aux enfants, amuse, dérange, et le plus souvent on préfère l’ignorer. On l’imagine chargée de nos mémoires, de nos hontes, de nos morts.
En période de crise, la tentation de s’en débarrasser peut être légitime. Dans ce récit, je vais franchir la limite fatidique et affronter les conséquences tragiques de cet acte. Une ombre ne disparait pas si facilement.
Travailler autour de l’ombre me permet d’explorer l’attachement dans son aspect le plus primitif. Si l’ombre nous appartient comme une part de nous-même, elle nous est aussi physiquement extérieure. Nous y sommes attaché.e.s, en dedans et en dehors. Elle est moi et autrui à la fois. Rompre son lien génère une crise intime et sociale qui remet en question les fondements de notre identité.
L’ombre, c’est également celle qui reste en retrait, qui promet de ne pas faire de vagues et d’être toujours un soutien. Son émancipation est un acte de rébellion, un geste radical qui renverse une relation d’emprise, un système d’oppression intériorisé. Dans cette ombre qui vit et qui parle, il y a la révolte de celleux que l’on n’autorise à vivre que par procuration.
Nota bene : hasard de la langue ou non, en français, une ombre est toujours féminine, qu’elle soit le reflet d’un homme ou d’une femme.
C’est aussi le témoin d’un corps, le corps d’une jeune-femme de 30 ans. Donner vie à son ombre, c’est offrir un nouveau regard à ce corps, le laisser devenir sujet plutôt qu’objet.
5 Quai du Général Koenig 67000 Strasbourg
de 6 à 28 euros